La sélectivité sociale dans le système suisse de formation: allocution de Sabine Süsstrunk au colloque annuel de l’ASOU
Le 4 juin 2025 s’est tenu le colloque annuel de l’Association Suisse pour l’Orientation Universitaire (ASOU), qui portait cette année sur le thème de l’égalité des chances dans l’éducation. À cette occasion, Sabine Süsstrunk, présidente du Conseil suisse de la science (CSS), a prononcé une allocution d’ouverture intitulée «La sélectivité sociale dans le système suisse de formation». Elle y a présenté un rapport du CSS sur ce sujet, publié en 2018. Voici quelques éléments-clés de l’allocution de la présidente du CSS.
De l’importance de lutter contre la sélectivité sociale
La «sélectivité sociale» désigne le fait de sélectionner des individus en fonction de leurs caractéristiques sociales plutôt que sur des critères de compétence ou de mérite. Dans le système suisse de formation, la sélectivité sociale est très présente. Aux yeux du CSS, cette sélectivité sociale marquée constitue un problème important, qui doit être mis à l’agenda politique, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, il est profondément injuste que l'origine sociale détermine les chances des enfants dans la vie, d'autant plus que les inégalités en matière de formation entraînent ensuite des inégalités dans tous les domaines de la vie (santé, espérance de vie, sécurité de l'emploi, revenus, participation à la vie politique, etc.). Deuxièmement, la discrimination fondée sur l’origine et la situation sociale est contraire aux droits fondamentaux inscrits dans la Constitution fédérale, qui stipule à l’article 8 que «nul ne peut être discriminé en raison de sa situation sociale». Troisièmement, même si les deux premiers arguments ne suffisaient pas, d'un point de vue purement rationnel, l'objectif du système éducatif devrait être de promouvoir au mieux les talents. L’économie suisse manque de main-d'œuvre qualifiée, car le système éducatif n'est pas en mesure de répondre aux besoins du marché du travail en personnel qualifié. La réduction de la sélectivité sociale aurait donc des effets économiques positifs sur la Suisse à moyen et long terme. Quatrièmement, les inégalités reproduites par le système de formation engendrent des coûts qui doivent être supportés par la collectivité. Prendre des mesures pour lutter contre la sélectivité sociale constitue donc un investissement dans l'avenir politique, économique et culturel de la Suisse.
Le système suisse de formation présente une forte sélectivité sociale
Le rapport du CSS «Sélectivité sociale» contient les recommandations du CSS et un rapport d’expert de Rolf Becker et Jürg Schoch, qui apporte un éclairage sur les causes et les conséquences de la sélectivité sociale dans le système suisse de formation et propose quelques pistes de solution.
Le rapport montre qu’en Suisse, il est possible de prédire assez précisément le parcours de formation d'un jeune en se fondant uniquement sur un nombre restreint d’informations concernant les ressources socioéconomiques et le niveau de formation de ses parents. Le système de formation suisse, qui a une structure complexe et est fortement segmenté selon le niveau de performance, a tendance à reproduire les inégalités sociales plutôt que de les réduire. Avant même l’entrée à l’école, l’origine sociale influence déjà les chances de départ des enfants. En effet, les enfants en bas âge issus de milieux sociaux privilégiés grandissent dans un environnement riche en expériences sociales et stimulantes, sans manquer de ressources. Cela leur confère d'emblée un avantage par rapport aux enfants qui grandissent dans un contexte socio-économique défavorisé. Après l’entrée à l’école, l'une des transitions déterminantes pour l'avenir du parcours de formation est celle du degré primaire au degré secondaire I.
De récentes publications viennent confirmer ces constats. L’Office fédéral de la statistique a publié en mars 2025 les résultats d’une analyse longitudinale qui confirme que l’obtention d’un titre du degré secondaire II dépend fortement de la situation socio-économique et que les jeunes qui grandissent dans un milieu socio-économique défavorisé sont plus à risque de ne pas obtenir de diplôme du degré secondaire II. De son côté, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) a rendu public en mai 2025 un Rapport national sur la vérification de l’atteinte des compétences fondamentales qui montre notamment que l’atteinte des compétences de base est liée à l’origine sociale.
Les mesures possibles et les recommandations du CSS
Pour le CSS, le choix de la voie de formation devrait relever des choix individuels, en fonction des capacités de chacun, plutôt que d’être prédéterminé par les structures du système de formation. Une réduction de la sélectivité sociale ne mènerait pas à une «académisation» du paysage éducatif suisse, mais garantirait plutôt une répartition équitable des chances au sein du système de formation, indépendamment de l'origine et du statut socio-économique du foyer parental. Le CSS a donc émis six recommandations dans ce sens, appelant à mettre en place les mesures suivantes: un soutien stratégique à l'encouragement précoce, un encouragement ciblé des langues, une sensibilisation des enseignants à tous les niveaux, un examen attentif des transitions scolaires pour réduire les effets de sélectivité, le développement de réseaux et de plateformes cantonaux et suprarégionaux et, enfin, un encouragement par la Confédération du monitoring et de la recherche sur l’accompagnement des mesures visant à réduire la sélectivité sociale.
La sélectivité sociale doit être mise à l’agenda politique
Depuis 2018, quelques avancées ont été réalisées dans des domaines liés à la sélectivité sociale. Par exemple, l’équité est désormais un thème transversal des messages FRI 2021-24 et 2025-28, ce qui a notamment donné lieu à la possibilité pour les hautes écoles de mener sur ce thème des projets en partie financés par des fonds fédéraux («contributions liées à des projets»). Un projet interuniversitaire visant à réduire la sélectivité due à l’origine sociale dans les hautes écoles suisses a ainsi vu le jour entre 2021 et 2024. Cependant, le thème de la sélectivité sociale bénéficie de peu d’attention politique et n’est pas perçu comme une priorité. Les mesures appropriées font donc défaut ou ne sont pas mises en œuvre de manière suffisamment cohérente sur l’ensemble du territoire suisse. À l’heure où des coupes budgétaires fédérales sont annoncées dans le domaine de la formation et où les mesures en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion sont menacées à travers le monde, il est plus important que jamais de mettre ce thème essentiel à l’ordre du jour du débat politique public suisse.
